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La femme en bleu de Vũ Cao Đàm

  • Photo du rédacteur: Cabinet Gauchet Art Asiatique
    Cabinet Gauchet Art Asiatique
  • il y a 3 jours
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 13 heures

5 mai 2025


Vũ Cao Đàm (1908-2000), "La femme en bleu", c. 1933, Encre et gouache sur soie, 102 x 73 cm, estimation : 150 000€-200 000€, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de vente aux enchère MILLON
Vũ Cao Đàm (1908-2000), "La femme en bleu", c. 1933, Encre et gouache sur soie, 102 x 73 cm, estimation : 150 000€-200 000€, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de vente aux enchère MILLON

Vũ Cao Đàm peint La femme en bleu en 1933, peu de temps après son installation à Paris. En 1931 il s’était fait remarquer à l’Exposition Coloniale Internationale par ses sculptures, largement acclamées par le public et la presse. La présente œuvre démontre cependant que, déjà, le jeune homme est également un peintre accompli, digne des plus grands portraitistes. Ici c’est une figure anonyme qu’il dépeint et non un individu précis. En peu de traits il fait néanmoins preuve d’une grande sensibilité dans l’expression de la jeune femme. Comme avec sa sculpture, l’artiste conjugue une volonté de simplification des formes à une émotion contenue mais palpable. Le costume qu’elle porte indique qu’elle appartient aux Tày, un groupe ethnique vivant dans le nord du Việt Nam. La récente exposition coloniale et l’essor populaire pour l’anthropologie a suscité chez l’artiste un intérêt nouveau pour la diversité culturelle de son pays. Il l’interprète à sa façon avec ce tableau : le vêtement ne fait qu’évoquer les Tày, sans précisions ni détails. Comme tout au long de sa carrière, il refuse l’exactitude descriptive de l’Orientalisme en faveur d’une pratique créative plus libre et empreinte de nostalgie.


La jeune femme fixe résolument l’observateur, posant dans une frontalité stricte non sans rappeler les portraits d’ancêtre. Ce type d’image est indubitablement un modèle pour Vũ Cao Đàm et il en adopte aussi le fond neutre qui isole la figure dans l’espace. Jusqu’aux années 1940 le portrait d’ancêtre est une référence qui lui inspire différentes compositions. On en connaît des exemples figurant des poètes en buste ou des fonctionnaires en pieds, à l’instar de Le Mandarin actuellement présenté à la National Gallery de Singapour dans l’exposition City of Others. Ses camarades de l'école des Beaux-Arts de l'Indochine partagent cet intérêt pour ce canon iconographique et les collectionneurs sont séduits par cet écho à l’histoire de l’art. Vũ Cao Đàm est en effet un passionné d’histoire de l’art et, alors qu’il peint La femme en bleu, il est inscrit à l’école du Louvre où il suit des cours consacrés à l’art de l’Asie de l’est. De cet enseignement il retient non seulement le dessin grave et noble d’un art consacré par les rites, mais également la patine des âges comme un signe d’antique préciosité. Appliquant le pigment d’un pinceau sec, la trame de la soie sur laquelle il peint se laisse deviner et donne à la peinture cet effet envoûtant d’une pièce sans âge. Plus tard dans le siècle c’est à sa sculpture qu’il donnera cette dimension d’antiquité par des recherches de matières et de couleurs. Avec La femme en bleu c’est une vision que livre donc Vũ Cao Đàm, délibérément ambiguë.


L’artiste n’a pas daté La femme en bleu. En plus d’un courrier conservé dans les archives de Victor Tardieu mentionnant son achat par le directeur de la revue l’Illustration au début de l’année 1934, ce sont le sceau et la signature qu’il appose en bas à droite qui nous permettent de situer sa création au début des années 1930. Le sceau déchiffré est particulièrement intéressant : on y lit 南兒童印[Sceau du fils du Sud] dans un style sigillaire. Par synecdoque Vũ Cao Đàm signe son œuvre en tant que Vietnamien. Le sud, 南 Nam, fait référence au nom du pays : Đại Nam pour la cour impériale encore en place, Annam pour le gouvernement colonial ou encore Việt Nam aujourd’hui. L’artiste affectionne spécialement ce sceau et l’on sait qu’il en possède au moins deux exemplaires légèrement différents. C’est une marque poétique de son identité vietnamienne qu’il imprime en rouge tandis qu’à vingt-cinq ans il entame une nouvelle étape de sa vie, à des milliers de kilomètres de son pays natal. Semblablement, son ami Mai Thứ utilisera un sceau portant les caractères plus explicites 大南枚栨 [Mai Thứ du Đại Nam] sur des peintures qu’il réalise lui aussi peu après son arrivée à Paris en 1937. En conclusion, ce tableau de Vũ Cao Đàm est caractéristique de ses premières années françaises, par sa facture et par les réflexions stylistiques et personnelles qu’il renferme. D’un « caractère original », comme le souligne le directeur de l’Agence économique de l’Indochine en 1934, La femme en bleu reste toutefois unique, non seulement parmi les propositions de ses contemporains mais également dans le corpus de Vũ Cao Đàm lui-même.

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