La technique de l'estampe japonaise
- Cabinet Gauchet Art Asiatique
- 30 avr.
- 4 min de lecture

La gravure sur bois, ou xylographie, constitue l’une des techniques artistiques les plus emblématiques du Japon, bien qu’elle trouve son origine en Chine. Importée et adaptée, elle est devenue un pilier fondamental de l’estampe japonaise, en particulier durant la période d’Edo (1603-1868). D’abord réservée à l’illustration de textes religieux bouddhiques, elle s’est progressivement transformée en une forme d’expression artistique raffinée, mêlant tradition artisanale et créativité esthétique. Ce savoir-faire minutieux, fruit d’une collaboration entre plusieurs artisans, a donné naissance à des œuvres d’une richesse technique et visuelle remarquable, toujours admirées aujourd’hui.
La gravure en relief sur bois favorise des contours nets et des aplats marqués, influençant fortement le style visuel des estampes. Cette contrainte technique a conduit à un art stylisé, aux formes épurées et à la ligne sinueuse. Les couleurs, essentielles, rythmaient l’image, modelaient l’espace et mettaient en valeur les volumes. L’exigence esthétique du public et le talent des artistes ont permis à cette technique de se perfectionner considérablement.
La création d’une estampe reposait sur la collaboration de quatre acteurs :
L’éditeur : maître d’œuvre du projet, finançait et coordonnait la production ;
L’artiste : réalisait le dessin initial, parfois à la demande d’un commanditaire ;
Le graveur : sculptait les planches à partir du dessin ;
L’imprimeur : assurait le tirage des exemplaires.
Les estampes étaient vendues en librairie ou par des colporteurs.
Le dessin, tracé à l’encre de Chine sur un papier translucide, était collé à l’envers sur une planche en bois de cerisier, un matériau dense et résistant. Le graveur découpait la planche selon le dessin en relief, à l’aide de couteaux, ciseaux et gouges, utilisant parfois un maillet pour plus de force. Des repères appelés kentô étaient ajoutés pour garantir un alignement parfait entre les différentes couches de couleur.
Chaque couleur nécessitait une planche distincte. Le graveur utilisait une feuille de papier transparente pour transférer le dessin sur plusieurs planches, chacune correspondant à une teinte. L’impression était réalisée à l’aide d’un baren, tampon circulaire que l’on frottait à la main pour faire adhérer l’encre au papier.

L’imprimeur appliquait les encres en suivant les indications de l’artiste : choix des couleurs, dégradés, effets spéciaux. Certaines estampes nécessitaient jusqu’à quinze planches pour obtenir toutes les nuances. La qualité du tirage dépendait de la finesse de la pression, de la texture du bois et du soin apporté à l’encrage.
Les pigments utilisés étaient d’origine végétale ou minérale. Le bleu de Prusse, importé au 19e siècle, eut un grand succès, notamment dans les paysages. L’ajout de poudres métalliques (or, argent, cuivre) nécessitait une étape supplémentaire : application de colle, saupoudrage puis séchage. Le gaufrage (karazuri), obtenu en modelant le papier humide avec les doigts ou le coude, ajoutait du relief à certaines parties de l’estampe.
Les fonds micacés, délicats à produire, demandaient deux impressions : une première pour la couleur, une seconde pour fixer le mica. Les titres et sceaux étaient ensuite imprimés par-dessus, à l’aide d’une planche distincte.
Le nombre d’exemplaires et leur qualité variaient selon le budget et la clientèle visée. Les premiers tirages, soigneusement réalisés sur un papier de luxe, s’adressaient à une élite. Les tirages ultérieurs, souvent simplifiés et imprimés sur un papier moins raffiné, visaient un public plus large.
Des estampes posthumes, voire des copies, étaient régulièrement réalisées à des fins commerciales, notamment avec l’engouement occidental pour l’art japonais.
Les premières estampes (fin XVIIe siècle), en noir et blanc, appelées sumizuri-e, furent enrichies dès 1700 d’une teinte rouge appliquée au pinceau. Dans les décennies suivantes, d'autres couleurs vinrent s’ajouter manuellement.
Vers 1740, des impressions en rose et vert furent expérimentées (benizuri-e). Puis, autour de 1765, Harunobu révolutionna l’estampe avec la nishiki-e ou « estampe de brocart », riche en couleurs et effets sophistiqués, souvent commandée par des clubs d’amateurs raffinés.
L’éditeur Tsutaya Jûzabûro joua un rôle clé dans la diffusion d’estampes luxueuses, notamment celles illustrant des poèmes humoristiques par Utamaro.

Les formats variés des estampes influencèrent grandement la composition artistique. Le format vertical, dérivé du rouleau chinois, imposa une lecture de haut en bas et une stylisation de l’espace. Il fut adopté avec enthousiasme par les artistes japonais et influença également les Nabis en Europe.
Voici quelques formats courants :
Hashira-e (730 x 120 mm) : format vertical étroit, très prisé par Harunobu, Koryûsai, Utamaro…
Ôban (380 x 255 mm) : idéal pour les grands portraits, utilisé par Kiyonaga, Sharaku…
Hosoban (330 x 145 mm) : format de prédilection pour les portraits d’acteurs.
Chûban, Ô-Ôban, Tate-e, Yoko-e : autres formats selon les sujets et contextes.
Les polyptyques (plusieurs feuilles assemblées) rappelaient les paravents ou rouleaux horizontaux.
Le papier washi
Fabriqué à partir de fibres végétales, le washi se déclinait en plusieurs qualités :
Hôsho : très blanc et opaque, utilisé pour les tirages de luxe.
Kôzo : souple et semi-transparent, fabriqué à partir de mûrier.
Gampi : résistant, aux fibres longues et soyeuses.
Les crépons japonais : une découverte occidentale
Les chirimen-e, ou crépons japonais, étaient des impressions bon marché sur un papier froissé, proche du textile. Ce support a fasciné des artistes européens comme Van Gogh, Rodin ou Matisse, séduits par l’éclat de leurs couleurs chimiques. Matisse soulignait d’ailleurs que ces images l’avaient révélé à la puissance expressive de la couleur pure.
À travers les siècles, cette technique n’a cessé d’évoluer, mêlant innovations techniques, effets visuels subtils et un sens aigu du raffinement. Loin d’être figée dans le passé, elle continue d’inspirer artistes et collectionneurs, aussi bien au Japon qu’en Occident. Témoignage précieux de la culture visuelle japonaise, l’estampe demeure une passerelle entre art, artisanat et poésie du quotidien.
Gauchet Art Asiatique, fort de son expérience dans l’art asiatique, propose des services d’authentification et d’expertise des céramiques vietnamiennes, qu’il s’agisse de porcelaines de Chu Đậu, de grès émaillés de Bát Tràng ou de poteries traditionnelles de Phù Lãng. Grâce à une analyse approfondie des matériaux, des techniques de fabrication et des motifs décoratifs, les experts de Gauchet Art Asiatique aident collectionneurs et marchands à identifier l’origine et la valeur des pièces, garantissant ainsi des acquisitions en toute confiance.
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