Nguyễn Gia Trí : Le Maître de la Laque Vietnamienne Moderne

Ⓟ NGUYEN GIA TRI (1908-1993), Femmes au jardin, 1963, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de ventes aux enchères Millon, adjugé à 20 000 euros. — **Ⓟ NGUYEN GIA TRI (1908-1993),** Femmes au jardin, 1963, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de ventes aux enchères Millon, adjugé à 20 000 euros.

Nguyễn Gia Trí, figure emblématique de l'art vietnamien du XXe siècle, est reconnu comme l'un des plus grands artistes de la laque au Vietnam. Son œuvre a joué un rôle déterminant dans l'élévation de la laque d’un simple artisanat traditionnel à un medium artistique majeur, à la fois innovant et empreint de la culture vietnamienne. Grâce à son approche unique, ses recherches techniques et sa capacité à combiner art traditionnel et modernité, Nguyễn Gia Trí a marqué l’histoire de l’art vietnamien et a laissé un héritage qui continue d’influencer les artistes contemporains. Cet article explore son parcours, son style et son impact sur le monde de l'art, tout en mettant en lumière l’évolution de sa technique et ses œuvres les plus célèbres.

Né en 1908 dans la province de Hà Tây (aujourd'hui intégrée à Hanoï), Nguyễn Gia Trí montre très tôt un intérêt pour les arts. En 1932, il rejoint l'École des Beaux-Arts de l'Indochine, alors l'un des centres de formation les plus prestigieux du Vietnam. Là, il s’initie aux arts visuels tout en affinant ses compétences en peinture traditionnelle, notamment la laque, une technique ancestrale vietnamienne.

L'un de ses professeurs, le peintre français Joseph Inguimberty, a une influence déterminante sur lui. Inguimberty encourage ses étudiants à explorer les possibilités offertes par les matériaux locaux et à allier traditions vietnamiennes et influences occidentales. C’est dans cet environnement que Nguyễn Gia Trí développe une profonde fascination pour la laque, qu’il va transformer en un art véritablement moderne, tout en restant fidèle à ses racines vietnamiennes.

Diplômé en 1936, Nguyễn Gia Trí fait ses premiers pas dans le monde de l'art en créant des caricatures satiriques pour les magazines vietnamiens Phong Hóa et Ngày Nay. Ces dessins, tout en étant d’un humour acerbe, témoignent déjà de son sens aigu de l’observation sociale et de sa capacité à utiliser l'art comme un moyen d'expression critique.

Si la laque était autrefois considérée comme une simple technique artisanale au service de la décoration d'objets, Nguyễn Gia Trí a su l’imposer comme une forme d'art à part entière, capable de rivaliser avec les peintures sur toile. En développant une technique de laque particulière, où il superpose des couches de laque, qu’il polit ou laisse sécher, il obtient des effets de profondeur et de brillance inédits. À cela, il ajoute des éléments comme de la poudre d’or, de la coquille d'œuf, de la poudre d'argent ou encore du charbon pour enrichir ses compositions, apportant ainsi une texture et un rendu visuel unique.

Ses premières œuvres en laque, créées dès la fin des années 1930, s'inspirent de scènes de la vie vietnamienne et des paysages naturels, tout en introduisant des influences artistiques occidentales, en particulier le cubisme et le surréalisme. Ces œuvres se distinguent par l’usage de couleurs vibrantes et de formes géométriques qui mettent en lumière la richesse des matériaux utilisés. Parmi ses pièces les plus célèbres de cette époque figure le paravent Les jeunes filles dans le jardin (1939), un ensemble de huit panneaux représentant des figures féminines idéalisées dans un paysage luxuriant. Cette œuvre est maintenant considérée comme un chef-d'œuvre du Vietnam et est conservée au Musée des Beaux-Arts du Vietnam à Hanoï.

Ⓟ NGUYEN GIA TRI (1908-1993), Croquis d'étude pour les panneaux de laque, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de ventes aux enchères Millon, adjugé à 23 000 euros. — **Ⓟ NGUYEN GIA TRI (1908-1993),** Croquis d'étude pour les panneaux de laque, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de ventes aux enchères Millon, adjugé à 23 000 euros.

Dans les années 1960, Nguyễn Gia Trí amorce une évolution vers une abstraction de plus en plus marquée. Il commence à se détacher des représentations figuratives pour se concentrer davantage sur les qualités intrinsèques des matériaux et des formes. À cette période, son approche devient plus introspective, s'éloignant des préoccupations politiques et sociales qu’il avait explorées auparavant.

L'art de Nguyễn Gia Trí devient alors plus expérimental. Les compositions figuratives laissent place à des formes géométriques et des motifs répétitifs qui explorent l’équilibre, la symétrie et la fluidité. À travers ces œuvres, il expérimente avec la texture de la laque, cherchant à capturer l’âme de la matière et à transformer chaque couche de laque en une œuvre d'art autonome. Il déclara d'ailleurs dans une interview : "Les œuvres n'ont pas de sujet ; le sujet est le matériau de la laque." Par cette déclaration, il met l’accent sur l’importance du médium lui-même dans la création artistique, une philosophie qui marque toute son œuvre.

Au fil des années, la laque devient de plus en plus un terrain d’expérimentation. Nguyễn Gia Trí utilise des techniques nouvelles pour ajouter des effets visuels impressionnants, créant des œuvres aux textures variées, où l’alternance de surfaces brillantes et mates joue un rôle clé. Cette maîtrise parfaite du médium lui permet de produire des pièces d'une grande modernité et d’une grande profondeur émotionnelle.

L’héritage artistique de Nguyễn Gia Trí dépasse largement le cadre de son époque. Ses œuvres continuent d’être des références majeures dans l’art contemporain du Vietnam. Son influence se retrouve non seulement dans la peinture en laque mais aussi dans la sculpture et les arts décoratifs. Ses recherches ont permis d'établir de nouveaux standards pour les artistes qui utilisent la laque comme médium.

La reconnaissance internationale de Nguyễn Gia Trí est également un aspect fondamental de son héritage. En 2022, son œuvre Village Girls Among Banana Trees (1937), un paravent en six panneaux, a été vendu aux enchères pour un montant supérieur à un million d'euros, établissant un record pour une œuvre de laque vietnamienne. Cela marque une étape importante dans l’évaluation des œuvres de l’artiste et la reconnaissance croissante du marché international de l'art asiatique. Les collections publiques et privées à travers le monde continuent d’acquérir ses œuvres, préservant ainsi son statut d'icône dans l'histoire de l'art vietnamien.

Nguyễn Gia Trí a non seulement transformé la laque en une forme d'art moderne mais a également permis au Vietnam de se faire un nom sur la scène artistique mondiale. Grâce à sa technique innovante et à sa capacité à fusionner tradition et modernité, il reste l'une des figures les plus importantes de l'art asiatique du XXe siècle. Ses œuvres continuent de fasciner par leur beauté, leur maîtrise technique et leur profonde richesse culturelle. Aujourd'hui, l'art de Nguyễn Gia Trí est plus que jamais un symbole de l'identité vietnamienne et un pilier du patrimoine artistique du pays.

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