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L'art de la peinture sur soie au Vietnam

  • Photo du rédacteur: Cabinet Gauchet Art Asiatique
    Cabinet Gauchet Art Asiatique
  • 25 mars
  • 5 min de lecture

Dans l’histoire de l’art asiatique, la peinture sur soie tient une place aussi discrète qu’essentielle, et c’est sans doute au Vietnam qu’elle a connu l’un de ses développements les plus raffinés et singuliers. Pratiquée depuis des siècles, notamment dans les cercles lettrés et religieux, cette technique connaît une véritable renaissance au XXe siècle, à la faveur d’un moment unique de convergence entre les traditions picturales d’Asie orientale et les canons de l’art académique européen.


Le Pho (1937 - 2001), Jeune fille au perroquet, 1938, encre et couleurs sur soie, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de vente aux enchères Millon, adjugé 315 000 €
Le Pho (1937 - 2001), Jeune fille au perroquet, 1938, encre et couleurs sur soie, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de vente aux enchères Millon, adjugé 315 000 €

La peinture sur soie vietnamienne ne peut être comprise qu’à cette intersection, entre la culture visuelle confucéenne, l’influence chinoise millénaire et l’élan modernisateur porté par la colonisation française. Elle est le fruit d’une histoire, d’une hybridation, d’une lente élaboration esthétique.


La technique, d’abord, mérite qu’on s’y attarde. La soie utilisée comme support, fine et translucide, impose une rigueur absolue : une fois le pinceau posé, il n’y a pas de retour en arrière possible. Les pigments pénètrent immédiatement la fibre, rendant toute retouche impossible. Cette contrainte technique confère à la peinture sur soie une esthétique propre, faite de fluidité, de transparence et de retenue. Contrairement à la peinture à l’huile, le geste doit être léger, anticipé, maîtrisé. Ce qui pourrait apparaître comme une limitation devient ici un langage : les couleurs sont posées en lavis successifs, les contours restent souples, les formes parfois légèrement estompées. L’ensemble évoque une atmosphère flottante, où les personnages semblent suspendus entre présence et effacement.


Historiquement, la peinture sur soie au Vietnam reste longtemps cantonnée à des usages rituels, décoratifs ou éducatifs, proches de la peinture lettrée chinoise. Mais un tournant décisif s’opère au début du XXe siècle, avec la fondation de l’École des Beaux-Arts de l’Indochine à Hanoï en 1925. Cette institution, dirigée par le peintre français Victor Tardieu, visait à former une élite artistique vietnamienne selon les principes de l’enseignement occidental, tout en encourageant l’appropriation des techniques locales. C’est dans ce contexte de bouillonnement artistique et d’ouverture culturelle que plusieurs artistes vont faire de la peinture sur soie un langage moderne, capable d’exprimer une sensibilité proprement vietnamienne tout en dialoguant avec l’histoire de l’art mondiale.


Nguyen Phan-Chanh, Jeune femme en train de se peigner,  peinture sur soie, musée Cernuschi, Paris.
Nguyen Phan-Chanh, Jeune femme en train de se peigner, peinture sur soie, musée Cernuschi, Paris.

Nguyễn Phan Chánh (1892–1984) est considéré comme le père fondateur de la peinture sur soie vietnamienne moderne. Originaire du centre du Vietnam, il étudie à l’École des Beaux-Arts de l’Indochine et participe à l’Exposition coloniale de Paris en 1931, où ses œuvres rencontrent un vif succès. Il impose un style sobre, caractérisé par des compositions horizontales, une palette sourde, des lignes douces et une narration silencieuse. Ses scènes de la vie rurale — femmes filant le coton, enfants jouant, lectures collectives — capturent avec pudeur l’essence d’un monde traditionnel en voie de transformation. Son approche profondément humaniste et son sens du rythme visuel font de lui une figure majeure du réalisme poétique vietnamien.


Dans une veine plus lyrique et colorée, Mai Trung Thứ (1906–1980) incarne une autre facette de cette peinture modernisée. Lui aussi formé à Hanoï, il s’installe définitivement en France après ses études et entame une carrière internationale. Sa peinture sur soie est reconnaissable entre toutes : personnages féminins graciles aux longs cheveux noirs, enfants stylisés, motifs floraux, compositions symétriques baignées de nostalgie. Très influencé par l’esthétique symboliste et la tradition lettrée asiatique, Mai Trung Thứ développe un univers intime et stylisé, où la mélancolie affleure derrière chaque sourire esquissé. Il est l’un des rares artistes vietnamiens de cette génération à avoir laissé une œuvre abondante et cohérente sur plusieurs décennies, contribuant à faire connaître la peinture sur soie vietnamienne en Occident.


Mai Trung Thu (1906-1980), La jeune fille à la rose, 1967, encre et couleurs sur soie, expertisé par le cabinet Gauchet Art Asiatique pour la maison de vente aux enchères Millon, adjugé 70 000 €
Mai Trung Thu (1906-1980), La jeune fille à la rose, 1967, encre et couleurs sur soie, expertisé par le cabinet Gauchet Art Asiatique pour la maison de vente aux enchères Millon, adjugé 70 000 €

Lê Phô (1907–2001), quant à lui, se distingue par son éclectisme et son évolution stylistique. Formé également à l’École des Beaux-Arts de l’Indochine, il poursuit ses études à l’École des Beaux-Arts de Paris et adopte une approche plus fusionnelle, mêlant références asiatiques et sensibilité impressionniste. Dans ses premières œuvres sur soie, il célèbre la beauté des femmes vietnamiennes, les jardins luxuriants, les scènes de maternité — autant de thèmes qui traduisent une quête d’harmonie entre l’individu et la nature. Par la suite, il évolue vers l’huile et explore des formes plus expressives, proches de l’art moderne européen. Sa carrière, longue et internationale, fait de lui l’un des artistes vietnamiens les plus cotés sur le marché de l’art.


Un autre nom important est celui de Vũ Cao Đàm (1908–2000), sculpteur et peintre, dont les œuvres sur soie se caractérisent par une grande légèreté formelle, des influences bouddhiques et une dimension spirituelle. Moins prolifique que ses contemporains dans ce médium, il n’en demeure pas moins une figure de la première génération d’artistes vietnamiens ayant su s’imposer en France dans les années 1930–1950.


Ces artistes partagent une même volonté de transcender la tradition sans la renier. Ils ont su faire de la peinture sur soie un espace d’expérimentation formelle, de mémoire culturelle et d’émotion contenue. Leurs œuvres témoignent d’un moment unique dans l’histoire de l’art vietnamien, où la soie devient non plus seulement support, mais surface sensible, terrain de dialogue entre deux mondes artistiques. À travers eux, la peinture vietnamienne entre pleinement dans la modernité, sans perdre sa spécificité.


Femmes musiciennes, 1933, encre et couleurs sur soie, Vietnam, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de vente aux enchères Millon, adjugé pour 210 000 €
Femmes musiciennes, 1933, encre et couleurs sur soie, Vietnam, expertisé par Gauchet Art Asiatique pour la maison de vente aux enchères Millon, adjugé pour 210 000 €

Aujourd’hui, cet héritage continue d’inspirer de nombreux artistes vietnamiens contemporains, même si la peinture sur soie a perdu son statut central dans les pratiques plastiques actuelles. Elle demeure toutefois un marqueur fort de l’identité artistique vietnamienne, et son rayonnement, notamment dans les ventes aux enchères internationales, témoigne d’un intérêt renouvelé pour cette forme d’expression subtile. Plus qu’une simple technique, elle incarne un regard — un rapport au monde où la contemplation prime sur la narration, où l’émotion affleure sans jamais s’imposer.


Ce travail de redécouverte et de valorisation de la peinture sur soie vietnamienne ne serait pas complet sans l’apport des spécialistes qui contribuent à mieux faire connaître, authentifier et contextualiser ces œuvres. Gauchet Art Asiatique, expert reconnu dans le domaine de l’art vietnamien, joue un rôle central dans cette dynamique. Grâce à une expertise rigoureuse, acquise au fil des années et des catalogues raisonnés, le cabinet accompagne collectionneurs, institutions et maisons de vente dans l’authentification et l’évaluation de ces œuvres délicates. Son travail contribue à établir des repères fiables dans un marché en pleine expansion et à faire reconnaître la peinture sur soie vietnamienne comme un pan majeur de l’histoire de l’art moderne en Asie.


En redécouvrant la peinture sur soie vietnamienne à travers les œuvres de Nguyễn Phan Chánh, Mai Trung Thứ, Lê Phổ ou Vũ Cao Đàm, c’est toute une page méconnue de l’histoire de l’art du XXe siècle qui se révèle. Une histoire où l’artisanat devient art, où le dialogue interculturel devient fécond, où la légèreté du trait devient la profondeur du regard.



Références :


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