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La représentation de la femme moderne par Kobayakawa Kiyoshi dans l’estampe Shin-hanga

  • Photo du rédacteur: Cabinet Gauchet Art Asiatique
    Cabinet Gauchet Art Asiatique
  • 11 juil.
  • 3 min de lecture


Né en 1899 à Fukuoka, Kobayakawa Kiyoshi occupe une place singulière au sein du mouvement Shin-hanga (« nouvelles estampes »), ce courant artistique qui, au tournant du XXe siècle, vise à réconcilier la tradition japonaise de la gravure sur bois avec les influences esthétiques modernes, notamment occidentales.

Formé à la peinture Nihonga auprès de Kaburaki Kiyokata, un maître du style, Kobayakawa se distingue dès 1918 par sa participation aux salons artistiques, où il expose des œuvres raffinées, dans la lignée des grands maîtres du bijin-ga (美人画) — ces représentations idéalisées de beautés féminines, héritées de l’Ukiyo-e.



L’année 1924 marque un tournant majeur dans sa carrière. À l’exposition Teiten (Salon impérial des Beaux-Arts), il présente l’œuvre Okiku de Nagasaki, un portrait féminin d’une rare finesse. Cette participation à un événement organisé par l’Académie japonaise des arts lui vaut une reconnaissance nationale. Dès lors, il collabore avec des éditeurs prestigieux comme Watanabe Shōzaburō — grand artisan de la diffusion internationale du Shin-hanga — et Hasegawa Shōten, réputé pour ses estampes raffinées.



Kobayakawa Kiyoshi, Tipsy de la série Kindai jiseishō no uchi (La Mode d'Aujourd'hui) (planche n°1), 1930, estampe, format ō-ōban vertical
Kobayakawa Kiyoshi, Tipsy de la série Kindai jiseishō no uchi (La Mode d'Aujourd'hui) (planche n°1), 1930, estampe, format ō-ōban vertical


Dans les années 1930, Kobayakawa amorce une transformation stylistique audacieuse. Il s’éloigne des codes esthétiques classiques pour s’intéresser aux modan garū (モダン・ガール), ou moga — littéralement les modern girls. Ces jeunes femmes japonaises des années 1920-30, vêtues à l’occidentale, maquillées, fumant ou buvant en public, symbolisent l’émergence d’un nouveau modèle féminin : libre, urbain, transgressif.



Série phare : Kindai jiseishō no uchi (« La Mode d’aujourd’hui »), 1930–1931

Réalisée en collaboration avec le graveur Takano Shichinosuke et l’imprimeur Ono Tomisaburō, cette série explore une féminité résolument contemporaine. Certaines de ces estampes sont même autoéditées par Kobayakawa, ce qui témoigne de son engagement personnel dans le projet.

Parmi les œuvres les plus marquantes de cette série figure Tipsy, sans doute son image la plus iconique. On y voit une femme assise, maquillée, bijoutée, un verre à la main et une cigarette à l’autre. Son regard franc et assuré reflète un rejet des conventions et un ancrage assumé dans la modernité. Cette œuvre, à la croisée des influences japonaises et occidentales, bouleverse les codes du bijin-ga classique.




L’intérêt de Kobayakawa pour les moga n’est pas seulement formel ou esthétique : il reflète les tensions socioculturelles du Japon de l’entre-deux-guerres, tiraillé entre la préservation de son identité traditionnelle et les forces de l’occidentalisation rapide, notamment dans les milieux urbains. En réinterprétant le bijin-ga à travers le prisme du Shin-hanga, Kobayakawa introduit une esthétique hybride, où le Japon ancestral cohabite avec les symboles de la modernité mondialisée.

Ses œuvres évoquent ainsi une transition culturelle, un basculement où la beauté féminine ne se réduit plus à la passivité ni à l’idéal confucéen, mais devient un vecteur de changement social.


Kobayakawa Kiyoshi, Okiku de Nagasaki, 1926, peinture, 24,1 x 20,5 cm (https://www.metmuseum.org)
Kobayakawa Kiyoshi, Okiku de Nagasaki, 1926, peinture, 24,1 x 20,5 cm (https://www.metmuseum.org)



Bien qu’il décède prématurément en 1948, Kobayakawa Kiyoshi laisse derrière lui une œuvre cohérente, audacieuse, et aujourd’hui hautement valorisée dans les collections muséales et privées. Ses estampes figurent dans les fonds du Museum of Fine Arts de Boston, du National Museum of Modern Art de Tokyo, ou encore du British Museum.

Il est aujourd’hui considéré comme un rénovateur du bijin-ga, à l’égal de ses contemporains Ito Shinsui ou Torii Kotondo, mais avec une touche plus moderne et subversive.


À travers son regard sensible et moderne sur la féminité, Kobayakawa Kiyoshi a contribué à faire évoluer l’estampe japonaise vers un langage visuel audacieux et introspectif. En intégrant les figures transgressives des moga au répertoire du bijin-ga, il offre une critique implicite des normes sociales de son époque, tout en renouvelant profondément les formes et les contenus du Shin-hanga.



Références bibliographiques

  • Brown, Kendall H. Visions of Japan: Shin-hanga Prints from the Honolulu Museum of Art. Honolulu Museum of Art, 2009.

  • Merritt, Helen, and Yamada, Nanako. Guide to Modern Japanese Woodblock Prints: 1900–1975. University of Hawaii Press, 1995.

  • Marks, Andreas. Japanese Woodblock Prints: Artists, Publishers and Masterworks 1680–1900. Tuttle Publishing, 2012.

  • Fujisawa, Chika. Bijin-ga and the Changing Face of Japanese Femininity. Tokyo University Press, 2017.

  • Okakura, Kakuzō. The Book of Tea. 1906. (Pour le contexte esthétique et philosophique).


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