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Shōtei (Takahashi Hiroaki), maître du Shin-hanga et gardien du Japon nostalgique

  • Photo du rédacteur: Cabinet Gauchet Art Asiatique
    Cabinet Gauchet Art Asiatique
  • 8 juil.
  • 4 min de lecture


Né en 1871 dans le quartier animé d’Asakusa, à Tokyo, Matsumoto Katsutaro, plus connu sous les noms de Shōtei et Takahashi Hiroaki, incarne l’un des artistes les plus emblématiques du mouvement Shin-hanga. Issu d’une famille modeste, il est adopté très jeune par les Takahashi, une circonstance qui marque le début de sa trajectoire artistique. Dès son enfance, Shōtei manifeste un talent remarquable pour la peinture et entame une formation rigoureuse auprès de son oncle, Matsumoto Fuko, un peintre renommé de l’époque, dont il empruntera plus tard le nom pour construire son  (nom d’artiste).



L’œuvre de Shōtei s’inscrit dans le cadre du Shin-hanga (新版画, « nouvelles estampes »), un mouvement artistique qui émerge au début du XXe siècle au Japon, en réaction à l’occidentalisation croissante de la culture nippone. Ce courant vise à revitaliser l’art de l’Ukiyo-e, en l’adaptant aux goûts modernes, notamment occidentaux, tout en conservant les techniques artisanales traditionnelles de la gravure sur bois.

L’éditeur Watanabe Shōzaburō, figure incontournable du Shin-hanga, joue un rôle central dans cette renaissance artistique. En 1907, il recrute Shōtei, qui devient rapidement l’un de ses artistes phares. Cette collaboration est marquée par une production prolifique d’estampes de paysages, caractérisées par un jeu subtil de lumière, une palette atmosphérique et une attention méticuleuse aux détails architecturaux et naturels.


Takahashi Hiroaki (Shōtei), Omuro fukin (Près d’Omuro) de la série Shiki no Fuji (Fuji aux quatre saisons), estampe, format ōban horizontal, signée Hiroaki et sceau Shōtei, publiée par Fusui Gabō (https://onlineonly.christies.com) 
Takahashi Hiroaki (Shōtei), Omuro fukin (Près d’Omuro) de la série Shiki no Fuji (Fuji aux quatre saisons), estampe, format ōban horizontal, signée Hiroaki et sceau Shōtei, publiée par Fusui Gabō (https://onlineonly.christies.com

Si la collaboration avec Watanabe Shōzaburō impose un certain formalisme — notamment en matière de formats (principalement des chūban, voire plus petits) —, Shōtei explore une liberté créative accrue dans ses travaux avec l’éditeur Fusui Gabō. Ce dernier lui permet de produire des œuvres en ōban (38 × 25,5 cm) et en formats variés, témoignant d’une volonté de s’affranchir des contraintes éditoriales pour mieux s’exprimer.

La dualité entre ces deux partenariats met en lumière la richesse de l’œuvre de Shōtei, oscillant entre les impératifs commerciaux de la reproduction artistique pour l’exportation et un désir profond de perpétuer l’esthétique japonaise traditionnelle, à une époque de profondes mutations culturelles.




L’année 1923 constitue un tournant tragique dans la carrière de Shōtei. Le grand séisme du Kantō détruit l’atelier de Watanabe, emportant avec lui une grande partie des œuvres de l’artiste. Cet événement cataclysmique n’entame cependant pas la détermination de Shōtei, qui entreprend de reproduire certaines des estampes perdues, dans une démarche à la fois reconstructive et mémorielle. Ces reproductions offrent aujourd’hui un témoignage précieux de l’esthétique pré-1923, mêlant précision artisanale et sensibilité poétique.




Décédé vraisemblablement en 1945, Shōtei laisse derrière lui un corpus impressionnant d’estampes, principalement centrées sur les paysages japonais, empreints de nostalgie et de sérénité. À travers ses œuvres, il réussit à capter l’esprit du Japon rural et ancien, à une époque où l’urbanisation et l’industrialisation menaçaient les repères traditionnels.

Parmi ses œuvres les plus notables, on peut citer Rain at Ushigome, Evening Snow at Edogawa, ou encore Moonlight on the Sumida River, des compositions où la lumière lunaire, la pluie ou la neige transfigurent le paysage en un moment suspendu.


Takahashi Hiroaki (Shōtei), Takaido no yūdachi (Averse du soir à Takaido), la première datant vers 1920 et la seconde vers 1930, estampes, format mitsugiriban vertical, éditions d’avant et d’après le tremblement de terre, les deux portant le sceau Shōtei, publiées par Watanabe Shōzaburō (https://www.sothebys.com) 
Takahashi Hiroaki (Shōtei), Takaido no yūdachi (Averse du soir à Takaido), la première datant vers 1920 et la seconde vers 1930, estampes, format mitsugiriban vertical, éditions d’avant et d’après le tremblement de terre, les deux portant le sceau Shōtei, publiées par Watanabe Shōzaburō (https://www.sothebys.com

→ A retenir


Style artistique

Shōtei est un maître de la composition atmosphérique, jouant avec la lumière, les saisons et les phénomènes météorologiques pour créer des scènes empreintes de mélancolie ou de tranquillité. Il combine :

  • La tradition Ukiyo-e : tracé délicat, perspective aplatie, attention au détail.

  • Les influences occidentales introduites par le Shin-hanga : effets de clair-obscur, ombrages subtils, rendu réaliste de la lumière et des ciels.


Thèmes principaux

Shōtei se concentre presque exclusivement sur des paysages ruraux et urbains japonais, souvent représentés à l’aube, au crépuscule ou sous des conditions météorologiques particulières :

  • Pluie, neige, brouillard, vent ou crépuscule dominent ses scènes.

  • Ponts de bois, sentiers de montagne, rizières, pagodes et temples isolés peuplent ses compositions.

  • Personnages miniatures, souvent seuls ou en petits groupes, accentuent la solitude poétique de l’environnement.

Il évoque souvent un Japon en voie de disparition, figé dans une époque pré-moderne, d'où l'aspect nostalgique si caractéristique de son travail.


Formats et techniques

  • Avec Watanabe Shōzaburō, il produit surtout des formats chūban (env. 26 x 19 cm), faciles à exporter vers l’Occident.

  • Avec Fusui Gabō, il explore des formats plus grands, notamment l’ōban (38 x 25,5 cm), qui offrent plus d’espace pour ses compositions paysagères ambitieuses.

Les estampes sont réalisées avec la technique traditionnelle de la xylographie (gravure sur bois) : dessin sur papier, gravure sur bois, encrage et impression à la main, en plusieurs passes (une par couleur).


Ambiances typiques dans ses œuvres

  • « Evening Snow at Edogawa » : une scène d’hiver bleutée et silencieuse, avec un pont enneigé sur la rivière.

  • « Rain at Ushigome » : silhouettes floues sous des parapluies, ville noyée sous la pluie, lanternes brillantes dans le gris ambiant.

  • « Moonlight on Sumida River » : reflet du clair de lune dans l’eau, architecture de bois, calme profond.

Ces œuvres traduisent une sensibilité japonaise profonde au passage du temps, à la beauté transitoire du monde, en écho au concept de mono no aware (l’empathie face à l’éphémère).

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